Gagner les cœurs, un enjeu majeur dans la lutte contre Ebola
Goma, République démocratique du Congo, 24 juin 2019 - « Je vous interdit de prendre mon fils ! Vous voulez le tuer en l'injectant du virus d'Ebola ! Chacun ici sait que c’est ce que vous faites ! » C’est la réaction furieuse d'un père face à la demande que son fils soit transféré d'un hôpital local vers un centre de traitement spécialisé d’Ebola.
Elle reflète à quel point il est difficile de contenir une épidémie dans une région où le folklore, les rumeurs et la méfiance envers les étrangers abondent.
Pour le Dr Ramses Kalumbi, chef de l'équipe de surveillance de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) à Goma, rassurer les patients et leurs familles fait partie du travail quotidien.
L'empathie, la patience et la compassion font partie intégrante du traitement offert par son équipe composée de médecins, de psychologues et d'agents de santé.
Située à 350 km de Goma (huit heures de route environ), la ville de Butembo est frappée de plein fouet par le virus d’Ebola. C’est là que réside le jeune homme dont il est question de transférer. C’est un chauffeur âgé de 27 ans. Il était venu rendre visite à sa famille lorsqu'il a commencé à se sentir mal à l'aise. Au départ, ses symptômes initiaux s’apparentaient à ceux du paludisme, mais c’est sa forte fièvre et une diarrhée ont sonné l'alarme, et maintenant il est terrifié.
Jusqu'à présent, le système de surveillance à plusieurs niveaux mis en place par le gouvernement et l'OMS a empêché la maladie d'atteindre Goma, mais personne ne peut se permettre de prendre le moindre risque.
Le cas du jeune chauffeur a été porté à l'attention d'une équipe de surveillance qui passe au peigne fin les établissements de santé et les quartiers pour identifier les patients présentant des symptômes qui pourraient indiquer une infection d’Ebola. Une fois identifiés, ces cas sont rapidement envoyés au centre d'alerte qui déploie des enquêteurs pour évaluer le patient et décider s'il y a lieu d'autoriser un transfert au centre de traitement d’Ebola le plus proche pour des analyses sanguines. Si le test est positif, le patient est isolé pour le traitement et si le résultat est négatif, le patient est renvoyé à l'établissement de santé initial ou à sa famille pour poursuivre le traitement adéquat.
A la méfiance à l'égard des agents de la santé s'ajoute une croyance, parmi beaucoup de gens à Goma, selon laquelle Ebola n'existerait pas. « Il n'y a pas de membres de leur famille dans les régions touchées par la maladie. Ce sont des gens qui n'ont pas voyagé pour voir la dévastation causée par cette maladie », souligne Bahati Sabimana Faustin, un guérisseur traditionnel qui travaille dans la région de Bujavu à Goma.
Le soutien de guérisseurs traditionnels comme Faustin, qui ont reçu une formation sur la façon de reconnaître les symptômes d'Ebola, joue un rôle important pour contenir la maladie et encourager la communauté à prendre des précautions. « Si un patient vient me voir avec une température élevée, des vomissements, de la diarrhée ou des saignements, je le reçois, je le place dans une pièce séparée et je contacte le centre d'alerte pour un examen plus approfondi », explique Faustin.
Jusqu'à présent, il a référé deux patients, mais dans les deux cas il ne s’agissait pas d'Ebola. « Il y a beaucoup de gens qui ne croient pas qu'Ebola est réel, mais après avoir obtenu la bonne information, ils changent souvent d'avis. Je leur dis qu'Ebola existe. Je suis certain qu'il est là. Ebola est réel », dit-il.
De retour dans l'établissement de santé primaire, le Dr Kalumbi et un psychologue du ministère s'engagent auprès de la famille afin de tenter de les rassurer sur la sécurité de leur fils. « Regarde-moi baba. Regarde-moi. Regarde-moi. Je suis l'un des vôtres », dit le Dr Kalumbi, en fixant le père en colère. « Je prendrai soin de votre fils. Je vous promets que personne ne lui fera de mal. »
« Regardez bien mon fils, il est en bonne santé, sauf qu'il a le paludisme, » répond le père. « J'entends dire tout le temps que tu prends des gens en bonne santé comme lui et que tu leur injectes de l'Ebola. Mon fils ne quittera pas cet hôpital. Vous pouvez prendre son sang et faire l'analyse, mais vous ne l'emmènerez nulle part. »
L’échange se poursuit entre le père et le Dr Kalumbi, et chaque peur et rumeur est accueillie avec calme par l'équipe médicale. Peu à peu, la tension s'est apaisée. « Nous nous soucions de votre fils et c'est pourquoi nous allons l'emmener au centre de traitement », dit le Dr Kalumbi. « Ce sera une protection pour lui et pour vous tous, s'il a vraiment Ebola. »
Quelques instants plus tard, le père accepte, mais à une condition : qu'il puisse accompagner son fils et qu’il soit présent pendant que les tests d’Ebola sont administrés. En arrivant au centre, le Dr Kalumbi reçoit un appel téléphonique. C'est la mère du jeune homme qui le supplié : « S'il vous plaît, n'injectez pas d'Ebola à mon fils. Sa vie est entre vos mains. » Elle aussi reçoit la même réponse calme et rassurante : personne n'injecte Ebola aux patients ; c'est une maladie qui doit être traitée immédiatement.
Dans le cas du jeune chauffeur, les résultats sont négatifs. Pas de trace du virus d'Ebola et il est donc remis entre les mains de sa famille. Tout aussi important, la confiance qui s'est établie entre le Dr Kalumbi et la famille dissipe peu à peu les craintes et la désinformation auxquelles lui et des centaines de ses collègues font face lorsqu'ils arpentent les rues au quotidien. Au programme demain et les jours suivants : identification et dépistage des patients, suivi et participation des communautés afin d'arrêter la propagation du virus Ebola ici, dans le reste du pays, et au-delà.
« Rien ne terrifie les familles autant que l'isolement de l'un des leurs pour suivre un traitement contre Ebola », dit le Dr Kalumbi. « Ils craignent que leur proche ne revienne pas. Le seul moyen de gagner leur confiance, c'est par une discussion honnête et par l'empathie. »
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